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Triptyque

L'incroyable rencontre

 

Nouvel épisode de « La Mouche », où Françoise se fait draguer par sa rivale, Samia-la-lesbienne ; où son journal intime nous fait partager ses espoirs ; pourquoi Frédéric fredonne « Bye bye Blackbird ; un barbu sympathique fait fuir Frédéric, qui se sent vieux, enfin !

 

Comme Frédéric, comme Samia, Françoise compta les jours. Subitement, elle réalisa que, parmi les mails qu'elle avait interceptés, il y avait les accusés de réception des réservations. L'un d'eux émanait de la SNCF : un billet sur le premier Eurostar pour Londres, le 22 décembre, à six heures quarante trois, gare du Nord, arrivée à huit heures zéro deux. Tout se suite, sa décision fut prise.

Il fallait qu'elle la voit. A cinq heures trente du matin, Françoise arpentait la zone d'embarquement de l'Eurostar.

Reconnaître Samia ne posait pas de problème. De son côté, elle ne risquait rien. Il aurait fallu, pour que Samia l'identifie, que Frédéric lui ait montré une photo d'elle. Mais il n'avait jamais pris une photo d'elle... en plus de dix ans ! Et ce fut un nouveau motif d'amertume et de ressentiment. Françoise pensa un instant aborder sa rivale, faire un esclandre, la gifler publiquement... Elle rejeta cette idée. La violence de Samia conduirait à une humiliation.

Soudain, elle en fut certaine, c'était elle. Mais elle n'était pas seule. Il y avait un homme qui l'accompagnait. Françoise se sentit toute joyeuse. Mais aussitôt, leur comportement démentit sa supposition. Ce devait être Philippe, le copain parisien de Frédéric. Lui et Samia s'embrassèrent au pied de l'escalator. Samia prit son sac de voyage, un sac en toile, bon marché. Elle en avait un second en bandoulière, un sac en plastique marron, marqué « Puma ».

Mal fagotée, taille moyenne, cheveux noirs et courts, coiffés en épis... Françoise se rapprocha, prit à son tour l'escalator. Elle s'attendait à une jolie fille, il n'en était rien. Un dos un peu voûté, pas de formes, une tête petite, le front bas, le nez de travers... La bouche seule était appétissante, mais encadré par deux plis profonds qui lui donnaient un air de dureté sauvage. C'était cela, sa concurrente, celle pour qui Frédéric roucoulait des « je t'aime » longs comme le bras !

Françoise fit semblant de fouiller dans son sac, près du contrôle des billets, évitant de croiser le regard de Samia toute proche. Mais elle ne baissa pas la tête assez vite. Samia vit qu'elle l'observait. Et l'incroyable se produisit. Samia la fixa, et sourit. Un très beau sourire, pensa Françoise, qui illuminait ses traits... Samia s'approcha :

- Vous prenez l'Eurostar ?

- Non, balbutia Françoise. Je suis juste venue... accompagner des amis, qui vont à Londres.

- Moi, j'y vais pour prendre l'avion à Heathrow. C'est dommage, on aurait pu voyager ensemble. C'est tellement plus agréable d'être à deux.

Bien qu'assez innocente en la matière, Françoise comprit. Samia la draguait. Elle lui demanda son numéro de téléphone. Françoise eut sur les lèvres l'envie de tout dire, mais sut se retenir. Samia était homosexuelle, Frédéric le savait-il ? Elle était prête à le tromper avec une femme. Même avec elle, Françoise, qui pourtant n'était pas une beauté. Mais son corps garçonnier, svelte malgré les années, son absence de maquillage, avait fait d'elle un objectif pour une lesbienne.

L'heure du départ approchait. Samia évoqua la possibilité d'une rencontre, plus tard... Françoise, déboussolée, ne dit pas non, et ne put que donner son adresse email, la vraie, n'ayant pas le réflexe d'en donner une fausse. Samia s'approcha pour l'embrasser, et s'arrangea pour frôler sa bouche.

- Tu ne me demandes pas quand je reviens ?

- Euh...

- D'ailleurs, je ne sais pas. Demain est un autre jour... Sait-on jamais !

Samia s'éloigna, fit contrôler son billet, se retourna pour un geste de la main, laissant Françoise, comme la femme de Loth, transformée en statue de sel.

 

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Ce fut de nouveau le silence. Ce silence significatif. Ils étaient ensemble à Grenade. Françoise envoya un mail à Frédéric pour lui demander s'il savait « qui était réellement Samia ». Il ne répondit pas. Un second mail lui demanda s'il savait « quelles étaient ses tendances ». Sans davantage de résultat.

Ce silence éloquent n'avait d'autre sens qu'un bonheur lointain, dont elle était exclue. Penchée sur son PC, Françoise se sentait comme dans une salle de contrôle, avec des instruments indiquant la situation, mais pas de commandes. Tous les voyants étaient au rouge, mais elle ne pouvait rien faire. Je deviens folle, se dit-elle.

Des mails, il y en avait d'échangés, régulièrement : des copains de bateau, et Mathilde, hésitant à passer les vacances d'été avec son père. Pauvre hérisson, pensa Françoise. Son fils ne lui écrivait qu'à l'occasion de leurs anniversaires respectifs. Sa fille cadette s'éloignait de lui. Sa nouvelle fille aînée semblait ne pas le reconnaître comme père...

 

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Moi, j'étais là, toujours prête à le secourir, malgré ce qu'il me faisait subir. Une vraie SAINTE, j'étais !!! Samia-la-lesbienne n'était avec lui que pour en profiter. Le saigner, qu'il s'agisse d'argent ou de sentiments..... Façon hallal. Il y avait des grandes affiches dans le métro, en période de ramadan. Il y avait aussi une campagne d'affichage disant que la majorité des français n'étaient pas des français d'origine, ou quelque chose comme ça, je n'ai pas noté les termes exacts, j'aurais dû... Qui finançait tout ça ??? L'islamisation de la France. A quand le tour de Frédéric de se convertir ?

Je dis des sottises. J'étais sûre que ça ne durerait pas entre eux, une fois de plus ! Et ça n'a pas duré, en effet. Mon intuition m'a donné raison. Les hommes ont beau se moquer, nous sentons ces choses-là, nous les femmes !!!

Ah ! Si j'avais pu craquer le password de Samia, j'aurais su quelles manigances elle préparait. Mais impossible. Elle était plus maligne que Frédéric, ce pauvre naïf.

Depuis, avec le journal de Frédéric que je tiens entre mes mains, tout ce que j'ai supposé s'est vérifié. Jusqu'à phase finale, que j'ai été la seule à comprendre. Parce que je l'aimais...

 

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Grenade, lundi 19 janvier 2009

Décidément, je hais les aéroports. Les arrivées ne parlent, par avance, que des départs. Combien de fois je l’ai vue partir, Mathilde… Il y a deux jours, un autre départ, celui de Samia. Dans le taxi qui me ramenait au lagon, j'ai fredonné « Bye bye Blackbird ».

Tout bien réfléchi, il faut les remercier, ces femmes qui vous sauvent en vous éloignant d’elles. Isabelle m’a sauvé d’une vie stupide et choisissant « d’être elle-même », « l'oiseau noir » m’a sauvé de Françoise, et Samia me sauve de Samia grâce à son caractère impossible. Je suis un chanceux, contrairement aux apparences. D’ailleurs, j’ai perdu le droit de me plaindre, avec toutes les aubaines dont j’ai bénéficié, nullement méritées.

 

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D'autres mails : des devis. Frédéric était de nouveau à Grenade, pour des travaux sur le gréement. Il revint en Martinique, apprit à Françoise une correspondance avec un de ses copains, nommé Jean-Michel. Le moment était propice. Elle viendrait en Martinique comme par hasard. Sur un ton léger, Françoise informa Frédéric que, puisqu'elle ne pouvait plus naviguer avec lui, elle avait contacté un autre navigateur, un type très gentil, qu'elle avait contacté par l'intermédiaire de Martine. Frédéric ne répondit pas, et pensa qu'il s'agissait d'une simple esbroufe. Mais un soir, alors qu'il allait prendre son annexe en sortant du Mango, un barbu dans la soixantaine le héla. Frédéric le connaissait vaguement. L'autre :

- Tu tombes bien. Je viens justement d'aller à ton bateau. C'est à propos de ta copine.

- Ma copine ! Mais de qui tu parles ? s’exclama Frédéric, qui le savait fort bien. Il ne lui restait qu’à apprendre les détails. Le barbu se hissa sur le catway et s’accroupit pour cadenasser son annexe.

Françoise avait atterri en Martinique une semaine auparavant, invitée par ce pauvre garçon. Le malheureux s'était rendu compte que Françoise l’avait utilisé, mais ne lui en tenait pas rigueur. Il était de ces hommes pour qui les femmes ont toujours toutes les excuses, surtout quand elles invoquent l’amour pour s’absoudre, même des pires abjections. Il était l’un de ces innombrables jobards pour qui une femme est toujours une sainte pour la simple raison qu’ils sont sortis d’entre les cuisses de l’une d’elles.

Françoise ne l’avait pas laissé longtemps dans l’ignorance. Aussitôt, cet idiot avait été pris d’inquiétude en croyant qu’il marchait sur les brisées d’autrui. Il s’était mis en devoir de rechercher Frédéric pour rendre Françoise à son légitime propriétaire. Cela faisait quatre jours que ce sympathique imbécile le cherchait partout et le ratait toujours d’un rien. Les explications étaient superflues, mais Frédéric en attendit la fin pour protester. Françoise n’était qu’une camarade, sans plus. D’ailleurs, c’était une histoire finie. Le barbu ne voulut pas en démordre. C’est qu’on ne la lui faisait pas. Très peu pour lui, ce genre d’histoire !

Frédéric opinait, compréhensif, essayant de placer un mot, mais l’autre tenait à protester de son innocence : il ne l’avait pas touchée, sa Françoise, et il allait la lui renvoyer, puisque c’était chez lui qu’elle voulait aller.

- Cela fait des jours qu’elle me le répète ! Je commence à en avoir assez, alors reprends-la !

- Non, pas question !

Mais le gentil barbu ne pouvait croire qu’on puisse négliger un amour tel que celui-là.

- Et elle ne rêve que de naviguer, de partager le boulot, la caisse de bord. Elle est parfaite, cette fille, je ne vois pas ce qu'il te faut ! En plus, elle t’est complètement fidèle. Je te le cache pas, j’ai essayé, avant de savoir qu’elle était avec toi. Elle a couché à bord, mais nous n’avons eu aucun rapport, tu vois ce que je veux dire… Elle m’a beaucoup parlé de vous deux. Une histoire sans importance, ça ne dure pas si longtemps, avoue-le ! Sois de bonne foi !

C’était une idée que Françoise lui avait solidement rivetée dans le crâne. Une heure plus tard, Frédéric leva l’ancre. Alors qu’il s’engageait dans le chenal, il aperçut un voilier dont la forme et la couleur lui rappelaient quelque chose. Cette laide teinte verte, ces bouchains vifs, et cet arrière si particulier… Mais oui, c’était « La Câline », Maria et Sergio, au temps du chantier Gros ! Frédéric se demanda si Maria avait beaucoup changé. Qu’étaient devenu les enfants ? Méline avait un an de plus que Mathilde, elle avait donc dix-sept ans…

Il fut tenté de faire demi-tour. Un sentiment d’inutilité le dissuada. Il continua sa route vers la sortie du cul-de-sac du Marin, réjoui par une pensée amicale : ils avaient finalement réussi à larguer les amarres. Il était content pour eux.

Frédéric arriva près de la bouée tribord marquant le haut-fond faisant face au Club Med’. Des amateurs de planche à voile profitaient du bon vent pour faire des runs. L’un d’eux passa à toute vitesse juste derrière « Marjolaine ». Frédéric le salua de la main. Il se sentait vieux, fatigué, sans ressort.

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