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Triptyque

L'amour fait des miracles

 

Résumé

Y avait-il, dans le cœur de sa mère, quelques fleurs desséchées ? A quel signe un enfant reconnaît-il son père ? Frédéric est ressorti de la maison de retraite sans avoir de réponses. Un saut dans le temps, et nous le retrouvons à la gare de Lyon, lesté d'une mystérieuse conversation avec Isabelle, d'un projet, et d'un message de Samia faisant suite au mail qu'il lui a envoyé sous prétexte d'un décès.

 

Tardifs aveux – Esprit d'à propos – Changement de pied – Gros seins et bonne humeur – Un produit de l'E.N. – Mystifications ferroviaires – Cheminots et patron – Femmes, mensonge et harcèlement – Les enfants des temps faciles.

Je marche vite, frayant mon chemin au milieu de la foule. Je bifurque en suivant le panneau marqué « grandes lignes ». Je vérifie encore une fois que les clés de Peyreladame sont bien dans la poche de mon sac. Je sens mon portable dans la poche intérieure du long imperméable qui me bat les mollets. Dans ma tête, il y a les relents amers de la conversation que je viens d’avoir avec Isabelle, et ses tardifs aveux. Dans mon portable, il y a le court message qu’a laissé Samia. « Tu dors ? »

J’hésite, puis retarde encore le moment de l’appeler. Une quinzaine de personnes font la queue devant la rangée de guichets. Des écrans aident les gens à patienter.

Je revient au SMS, et sélectionne « rappeler ce numéro ».

- Samia ?

- Ouais, c’est moi. Alors, t’es réveillé ?

Cette voix un peu enrouée, traînante, rien que de l’entendre me chauffe le ventre.

- Je ne dormais pas ! À deux heures de l’après-midi ! Non, j’étais avec Isabelle, la maman de Mathilde.

- Tu la revois toujours celle-là ?

- Le moyen de faire autrement. Nous venons justement d’avoir une conversation intéressante. J’ai appris beaucoup de choses.

Discrète ou indifférente, elle ne se montre pas curieuse de mes découvertes.

- Tu es où ?

- À Paris, à la gare. Je vais prendre un billet pour demain. Et toi ?

- Je suis à Aix chez une amie, une vieille copine qui m’héberge.

L’amour fait des miracles, et je m’étonne moi-même de l’esprit d’à-propos qui me fait dire :

- Ça c’est vraiment drôle ! J’allais prendre un billet pour Toulon. Je vais voir un pote qui habite à La Crau. Tu connais ?

- Bien sûr. J’ai habité longtemps sur la Côte, tu devrais t’en rappeler.

La file avance un peu. Je fais un pas en avant.

- Je m’en souviens très bien. Et tu as des projets ?

- Je m’occupe de la paperasse pour ma mère. Mais c’est surtout ma sœur aînée qui s’en charge.

- Alors, tu vas retourner en Martinique ?

- Non je reste en France. En Martinique il n’y a rien à faire. Pas de travail. Tu sais, j’ai vendu mon nid d’aigle, comme tu dis.

- Tu as vendu ? Mais je croyais que tu t’étais installée comme ça…

- Et la maison ! Ce que j’ai construit je pouvais le vendre, non ?

Ainsi, en Martinique, on peut occuper illégalement un terrain, construire, et ensuite vendre. C’est surprenant mais tant mieux pour elle.

- Tu en as tiré un bon prix. ? Excuse-moi, je ne veux pas être indiscret…

- Suffisamment pour m’acheter un petit bateau, avec les économies que je pourrai faire en bossant ici.

Quel genre d’emploi peut-elle envisager ? Elle a quitté le monde du travail, hormis quelques petits boulots, depuis au moins quinze ans…

- Je suis content que tu aies des projets. Ça me fait plaisir.

- Ouais… Tu es gentil de me dire ça. Ça m’a fait plaisir, aussi, que tu m’envoies un mot.

La file avance. Il faut se lancer.

- Tu sais, quand je serai dans le coin, je pourrais faire un crochet par Aix-en-Provence. Si ça te dit…

- Ouais si tu veux.

Puis elle ajoute :

- C’est bizarre, on dirait qu’il y a quelque chose qui fait qu’on se croise sans le vouloir… Au Venezuela, puis en France…

- Alors, c’est d’accord ? Je t’appellerai dans un jour ou deux, quand je serai à Toulon chez mon pote Jean-Yves.

- OK, j’attends ton appel.

- À bientôt. Je t’embrasse.

- Moi aussi, je t’embrasse.

Quelqu’un me pousse légèrement. La file a avancé de plusieurs places. Je me retourne en souriant. La femme me rend mon sourire. Elle me rappelle une ancienne maîtresse, délaissée pour Isabelle. Brune, avec une grosse poitrine, à peu près de la même taille. Je me sens d’humeur sociable.

Les écrans vidéo proposent des jeux basés sur le voyage. Il est demandé si on peut voir une statue de Napoléon sur la grande place de Bordeaux. Je l’ignore. La réponse est: « Non. Il y a eu autrefois une statue de Napoléon en ce lieu, mais elle a été enlevée à la Révolution française ».

Napoléon, avant la Révolution française ? Il ne peut s’agir ni de la révolution des œillets, ni de la révolution de 48 ; ni de Napoléon III, bien sûr. Je m’adresse à ma voisine aux gros seins.

- Vous avez vu, sur l’écran, la question sur Napoléon. On aurait enlevé une statue de Napoléon à la Révolution française.

- Ah ? Je ne sais pas. Je ne suis jamais allée à Bordeaux.

Je bavarde un peu avec elle. Elle est commerciale dans un organisme de crédit.

- Il faut avoir des diplômes, sans doute, pour ce genre de travail, je demande, faussement naïf.

- Oh oui ! Une licence au moins, plus une formation spécifique.

Elle a une trentaine d’années, l’ignorance abyssale de ces nouveaux instruits, une très jolie bouche et une belle poitrine. Qu’est-ce qu’on ne ferait pas pour la poitrine des dindes ! Au-dessus d’un guichet, un numéro clignote. C'est mon tour. Le prix du billet me stupéfie. Je manifeste mon étonnement à l’employé impavide. Il m’indique que c’est plus cher en semaine, spécialement le mardi, mais que si je prends un aller le 24 octobre pour revenir le 3 novembre, cela me coûtera trois fois moins.

Je découvre tardivement (j’ai horreur des transports en commun) que la SNCF, qui se revendique hautement comme service public, applique sans scrupule les principes opaques du marketing : ce n’est pas la valeur d’une chose que l’on facture au client, mais ce qu’on peut lui faire cracher.

- Et il n’y a pas un truc qui s’appelle la Carte Vermeil, avec une réduction pour les plus de soixante ans ?

Le préposé répond patiemment à l’attardé mental :

- La Carte Vermeil, c’est fini depuis longtemps. Maintenant, nous avons la Carte Senior.

- Ah ?

- Mais c’est un peu la même chose.

De plus en plus réjoui, je visualise les multiples réunions, les agences de conseil en communication, les études d’impact, tout le temps et l’argent consacrés pour remplacer, après beaucoup de parlotes, Vermeil par Senior. L’homme m’explique :

- Vous prenez une carte et vous avez droit à des tarifs préférentiels, à l’exception de quelques dates. Pour votre voyage, un aller demain, le 14 octobre, et retour la semaine suivante, il n’y a pas de problème.

Je demande la carte. Ne suis-je pas senior ?

- La carte est valable un an. Vous réglez comment ?

En somme, l’achat de la carte met ce trajet Paris-Toulon au même prix que si je ne la prenais pas. J’en conclue que ce n’est pas une réduction, mais une fidélisation. Ma bonne humeur résiste à cette autre mystification ferroviaire. Je prends la carte et le billet. L’employé remercie et me souhaite une bonne journée. Les services idoines de la SNCF ont dû batailler ferme, sans doute, pour que les employés chargés du contact avec la clientèle se montrassent courtois, opérations promotionnelles en interne à l’appui. J’imagine les litres de salive qui ont été versés pour aboutir à ce qu’un employé dise « merci » à l’usager, devenu par la magie du verbe un « client ». Je m'amuse encore davantage en songeant aux lamentations hypocrites de ces mêmes chefs de service quand ils constatent que leurs efforts pour accroître les indices de satisfaction sont réduits illico à néant par une seule grève des durs, les cheminots, qui tiennent tout le monde par les couilles, et leur patron en tout premier lieu.

Je me dirige vers les guichets du métro. Je cherche un plan. Est-ce qu’il vaut mieux, pour aller à Montparnasse, revenir à Nation ou changer à Châtelet ? Mon mobile sonne.

 

C’est Françoise. Décidément, je ne m’en débarrasserai jamais !

– Je te dérange ?

Comme si elle ne faisait pas que cela depuis dix ans !

- Non, je ne veux pas aller au café-philo après-demain … Où je suis ? Mais qu’est-ce que ça peut faire où je suis ?

- Tu ne me parlais pas comme ça l’autre jour, quand tu m’as proposé de passer la nuit chez toi !

- Mais jamais de la vie ! Qu’est-ce que tu racontes !

- Ce n’est pas toi qui m’a téléphoné ? Je ne savais même pas que tu étais à Paris. Alors ne mens pas !

Pour les femmes, c’est toujours l’homme qui ment. On comprend pourquoi. L’homme sait quand il ment. Il peut donc être confronté aux faits. La femme ignore, le plus souvent, qu’elle invente, comme l’enfant. Pour elle, le mensonge est une autre réalité, intérieure.

Je rétablis les faits :

- Mais tu sais bien… Tu sais parfaitement que je t’ai appelée pour te rendre ta parka, et c’est toi qui en as profité pour t’inviter chez moi. J’ai accepté pour te dépanner, je le regrette bien. Bon maintenant laisse-moi tranquille, j’ai à faire.

- Et la petite gâterie, tu l’as acceptée aussi pour me dépanner ?

- Oh, merde ! Tu me fais chier, tu sais, Françoise. Je raccroche maintenant.

Ce que je fais, mais je n’ose pas éteindre son mobile. C’est comme autrefois, à Corfou ou ailleurs, quand déferlaient les appels et les messages. « Je ne suis pas d’accord, je veux  !  Tu n’as pas le droit ! » Et je ne pouvais éteindre mon Nokia, pour rester en contact avec Isabelle quand Mathilde était à bord.

Au bout de dix minutes, soulagement. Elle ne rappelle pas. Mais sur le quai de la station, un « bip » m’avertit de l’arrivée d’un message, que j’efface sans le consulter. La rame arrive. À quatre heures de l’après-midi, il y a plusieurs places assises, et je regrette encore d’avoir oublié de prendre un livre. Demain, je serai à Toulon. J’appelle Jean-Yves.

- Tu viens le temps que tu veux, je ne bouge pas de La Crau. Je suis tout seul, Claudette est retournée là-bas…

Là-bas, c'est au Sri Lanka. Son fils y a perdu la vie quatre ans auparavant, en ce jour de Noël où le tsunami a fait des dizaines de milliers de victimes.

Perdre un enfant… C’était bien une des choses qu’Isabelle, dans sa simplicité, n’imagine pas. Dans le cas contraire, elle eut remercié chaque jour les dieux de lui avoir épargné cette souffrance. Elle aurait mis de côté son désir de devenir elle-même, cause officielle de son départ, la rencontre avec un autre homme étant admise mais à titre de coïncidence. À la même période, j’ai eu un accident de voiture, avec Mathilde assise à l’arrière. La différence entre la vie et la mort s’est jouée à quelques centimètres près, ceux du point d’impact. Jamais Isabelle ne m’a demandé de détails sur ce coup de chance. Cela montre à quel point elle est aveugle et sourde aux signes que le destin veut bien nous envoyer ; semblable somme toute à ces rejetons des temps faciles, qui ne savent plus rendre grâce pour la simple absence de malheur ; pour qui la norme c'est le beau temps, au point de ne plus entendre le grondement lointain de l’orage.

 

 

Trois semaines de balade

L'auteur, sourd aux gémissements d'un public aussi vaste qu'exigeant, a décidé de s'octroyer une petite balade au soleil.

Il ne peut que conseiller à ses lecteurs et lecteuses d'en profiter pour relire attentivement, en suivant bien avec le doigt pour les moins doués, les chapitres précédents, dans lesquels, sous l'apparente légèreté d'un récit licencieux voire obcène, se dissimule des allusions bien senties sur l'époque où nous vivons.

Il rappelle que ses œuvres complètes, actuellement au nombre de deux, sont en principe disponibles chez ce turbo-capitaliste sans âme, tueur de chatons et de petits libraires, l'innommable Amazon.

Il rappelle également que certaines scènes de « Bye bye Blackbird », simplement évoquées dans ce premier roman, sont reprises de façon plus explicative, sous un autre angle, dans les deux autres volets du « triptyque ». Toutes les curiosités seront satisfaites – à condition bien sûr d'y mettre le prix, et que l'auteur réussisse à terminer d'écrire son troisième volet avant l'inévitable arrivée d'Alzheimer.

Quelques encouragements ne seraient pas superflus, d'ailleurs. Mais il n'accepte pas les bitcoins.

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