Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Triptyque

Quatrième rupture

 

Résumé

Une fâcherie, suivie d'une rapide réconciliation, ont pris Frédéric à contrepied. Le voici en train de draguer sans conviction une gentille Fanny à Toulouse, tandis que Samia, au Venezuela...

 

Conversation transatlantique – Maurice entre en scène – Au niveau Harlequin – Un poème – Le hachoir Messenger – Fanny aussi.

 

Le signal d’appel a retenti de nombreuses fois. Samia va couper quand elle entend enfin ma voix.

- C’est moi. Ça va ? Comment ça se passe en France ?

- Bien. Je suis à la campagne. J’allais te téléphoner un peu plus tard.

- Je sais, tu m’as dit dans ton mail que tu m’appellerais. J’ai pas pu attendre. Tu me manques, tu sais.

- Oui, moi aussi.

- Cette nuit, dans la cabine, il y avait ton odeur. Je me suis caressée en pensant à toi. J’ai joui deux fois.

- Oui…

- Là je suis allongée dans ton hamac. On me demande de tes nouvelles.

- Très bien. Pas de problème avec le bateau ?

- Pas de problème. J’ai nettoyé toute la cuisine. C’est le réchaud qui m’a donné du souci.

Elle sent quelque chose de bizarre et reprend :

- Tu sais ça me fait mal que tu sois parti. Tu m’aimes ?

- Oui, bien sûr.

- Tu peux pas parler. Tu n’es pas seul. C’est ça ?

- Oui, pour tout te dire je ne suis pas seul, mais je t’appellerai tout à l’heure, on causera de tout ça tranquillement.

Je baisse la voix :

- Moi aussi, je pense à toi. Je t’aime, mais, bon… Il faut laisser passer un peu de temps. On est dans une période, comment dire ? une période d’incertitude.

- Tu appelles ça de l’incertitude ! Tu es là avec cette fille, peut-être que vous étiez en train de baiser quand j’ai appelé, c’est pour ça que tu as mis tant de temps à répondre !

- Non non, je t’assure ! On est juste en train de discuter, devant un verre. Écoute, je…

Les dents serrées, elle coupe la communication et jette son portable sur ses genoux. Pendant qu’elle est là dans cette marina de merde à nettoyer sa cuisine pourrie, il est en train de sauter cette fille ! La voix de Maurice se fait entendre derrière elle.

- Alors ma jolie, tu te prélasses ?

Il s’accroupit près du hamac, une main posée sur le bord, comme pour garder son équilibre.

- On ne te voit pas. Tu nous fais la tête ? Ce serait dommage, avec un si joli minois !

Il sourit gentiment. Il a l’air doux, pense Samia. Doux et bon.

- Non, je ne fais la tête à personne, même pas aux imbéciles et ça ne manque pas sur ce quai.

- Tu as raison, mais il ne faut pas loger tout le monde à la même enseigne.

C’est bien vrai. Lui au moins est loyal. Elle acquiesce, avec une jolie moue qui met en valeur ses lèvres pleines.

Maurice, après un temps :

- C’est joli ce que tu portes. Moderne, de bon goût. Tout à fait mon style. On t’a dit que j’étais dans la mode ? J’ai une chaîne d’enseignes à Paris.

- Ah ?

- On en reparlera, si tu veux. Je voulais te dire, si tu t’ennuies, on t’emmène dîner ce soir, moi et mon équipier. Tu peux avoir confiance, on sait se tenir, tous les deux !

- Pourquoi pas, après tout. Ça me changera les idées.

Il est trois heures, neuf heures du soir en France. Non, neuf heures et demie. Ou huit heures et demie. Depuis que Chavez a fait adopter une nouvelle heure au Venezuela, avec trente minutes de différence, on se trompe sans arrêt. Mettons neuf heures et demie, et Frédéric discute, comme il dit, avec cette fille. Elle aussi, elle a bien le droit de sortir et de discuter, non ?

 

….....................................................

 

Je reste stupide, le combiné à la main. Puis je réalise que Fanny est dans la salle à manger à m’attendre, et qu’elle a peut-être compris la teneur de cet appel.

- C’était cette femme, dont je t’ai parlé. Je t’ai dit que j’étais libre, en principe, et c’est vrai que je le suis…

Elle me coupe, dans une bouffée de fumée :

- Tu n’as pas d’explication à me donner tu sais. Ce qui m’importe c’est que tu me dises la vérité, pour les sentiments que tu me portes.

Il faut être au niveau, celui de la Collection Harlequin.

- On se connaît très peu, et je ne m’emballe pas comme ça. J’ai besoin de ressentir une émotion, avant d’aller plus loin. C’est vrai que je ressens cette émotion quand je suis avec toi, peut-être elle grandira, je ne sais pas…

Passerait-elle avec succès l’examen d’une nudité, et jusqu’à l’accessit d’une intimité poussée ?

- Et avec cette amie, tu la ressens cette émotion ?

- Je la ressens, ou plutôt je l’ai ressentie, très fortement. Le problème, c’est qu’en dehors du sexe, on ne réussit pas à s’entendre. On se dispute sans arrêt. C’est invivable.

Le feu meurt. Je rassemble les braises. Fanny déclare, lançant sa cigarette dans l’âtre :

- Il faut que je rentre. Demain matin j’ai rendez-vous avec le médecin. Je pense qu’il va me mettre sous complément alimentaire rapide, comme il y a quatre ans. J’ai trop peu de poids pour me défendre parait-il. Au fond c’est de ma faute. J’ai pas vu venir mais c’était à prévoir.

Nous convenons d’un rendez-vous le lendemain. Je la raccompagne. Au moment de se séparer, je la prends dans ses bras, lui caressant doucement le visage. On échange un baiser. Son haleine sent un peu le tabac. Je vois les feux rouges de la voiture disparaître après le tournant et rentre dans la vieille maison.

Lire en anglais est lassant. Je cherche un autre livre dans les placards aménagés dans un renfoncement du couloir. C'est dans ce renfoncement qu’était mon lit, quand j’étais petit. Sur la planche de contreplaqué qui isolait de l’humidité du mur, mon père avait peint un trompe-l’œil. C’était un hublot, tout rond, avec ses vis bien imitées. Le jaune du cuivre tranchait gaiement sur le bleu de la mer, d’où sautait un poisson couleur argent, aux écailles soigneusement dessinée.

 

….....................................................

 

Le dimanche vers midi, je reçois un appel de Fanny. Elle a un problème de garde avec ses chiens, son fils s’étant désisté. Elle viendra le soir. Vers quinze heures, je compose le numéro de Samia. N’obtenant pas de réponse, je me change les idées en allant retrouver les lieux de mon enfance, sur les rives de l’Ariège toute proche. Puis je fais une nouvelle tentative, toujours sans succès. Inquiet, j’appelle Julien, et demande à mon ami de « Varuna » d’aller voir si tout va bien sur « Marjolaine ».

Une demi-heure plus tard, Julien me rassure. Samia s’est réveillée. Elle est venue chez lui, où elle prend un café.

- Je te la passe ?

Voix pâteuse, élocution laborieuse, sérieuse gueule de bois.

- Je suis allé dîner hier soir avec Maurice. On s’est bien amusé, on a bien bu. Tu sais, je n’étais pas seule avec lui, il y avait son équipier. Bon je suis un peu fatiguée, je t’enverrai un mail tout à l’heure quand je serai mieux réveillée, mon amour. Tout va bien pour toi ?

Elle passe la soirée avec Maurice, et elle me demande si tout va bien !

- Tu sais, je fais mon footing chaque matin, et je passe beaucoup de temps avec Dominique, on papote, je la trouve très sympa.

La colère m’ôte toute présence d’esprit, et les mots pour dire ce qu’il faut. J’articule sèchement :

- Parfait, parfait. Salut !

Le soir, je mange seul mes deux douzaines d’huîtres. Fanny a besoin de réfléchir. Elle m’écrira.

Je demande à mes voisins s’il y a un café internet dans le village. Ils se moquent de moi : « un cyber quoi ? » Quel besoin de communiquer avec le reste du monde, quand on est si bien à Peyreladame !

Je dois attendre le lendemain lundi. Je vais en train à Toulouse. Samia m’a envoyé une rafale de mails. Le premier est un poème, précédé d’une phrase : « Tu voudrais bien ne pas être parti… alors il fallait rester… l’amour n’étant peut-être pas le plus fort… ».

Le poème évoque notre première rencontre. « Du bas des marches, le temps s’est arrêté, notre élan stoppé ». Puis l’instant bascule, le regard est vêtu de bleu comme une tempête, l’illusion d’un amour déferle. « Tu t’embarques, emportée par les flots », poursuit la pièce où temps rime avec néant, et mystère avec sphère. « Tu ne bougeais pas, inepte on te croyait morte, mais personne ne pouvait te voir, car nous étions déjà tous morts », conclue tristement l’envoi. Inepte, pour « inerte », doit être une faute de frappe.

Le second mail fait état d’une invitation de Maurice. Il s’agit de passer quelques jours avec lui à Tortuga, et éventuellement de retourner en Martinique sur « Roudoudou ». Pour la convaincre, Maurice lui a parlé de cette autre femme, que je suis allé voir en France.

Dans le troisième mail, Samia s’échauffe, et son orthographe s’en ressent. « Il y a une chose donc j’ai horreur, c’est que l’on me prenne pour une idiote, et c’est ce que tu es en train de faire, alors arete de mentir pour une fois dans ta vie, car tu as quand même tendance à mentir parfois, soit franc au moins envers ta conscience, c’est peut-être ça qui te perturbes dans ta vie, tu n’es pas vraiment en accord avec toi-même, si je te dit ça ce n’est pas pour te faire du mal, bien au contraire c’est parce que je t’aime ; mais tu continu à mentir, à cette personne justement, si tu la respecte et bien dit lui la vérité, déjà votre relation débute dans le mensonge… comment fais-tu pour affronter une personne toute la soirée en sachant que tu ressens quelque chose pour une autre, et bien tu vois on est vraiment différents, moi j’apprends aussi à connaître un côté de ta personne, qui n’est pas joli du tout… Sur ce amuses toi bien.. Je t’embrasse mon amour, je t’aime. Si tu es connecté, met toi sur le chat »

J’ouvre Windows Messenger. Elle est en ligne. J’écris :

« -Bonjour. Pourquoi dis-tu que je mens ? J’ai dit la vérité à cette femme, à toi aussi.

- Tu appelles ça la vérité ? Tu aimes une personne, et tu vas en voir une autre ?

- Tu oublies qu’on était séparés quand je l’ai rencontrée, cette personne.

- Il me semble à moi que quelque chose a changé ensuite, non 

- De toute façon, tu fais comme tu veux. Si tu veux partir avec l’autre, tu pars. Soit tu es avec moi, soit tu es avec quelqu’un d’autre, et dans ce cas prends tout de suite tes…

Le logiciel de Messenger n’autorise qu’un nombre limité de signes, et je dois scinder mon envoi.

« … tes affaires et vas chez ce quelqu’un !

- Inutile de te fâcher, je ne suis pas encore partie avec lui, je t’aime et tu le sais, je ne laisserais personne se mettre entre nous. Attends… »

Assis à côté de moi, deux garçons d’une quinzaine d’années s’exclament. Il y a des explosions, des staccato de mitrailleuses. « Tu t’es fait avoir ! », crie l’un d’eux. Mais son copain a encore plusieurs vies. Je prends le temps de parcourir « Le Figaro » en ligne. Samia revient alors que je suis sur le point de renoncer.

« Excuse, j’ai du changer d’ordi, y avait un problème.

- Le poème, il est de toi ?

- Tu penses vraiment que je t’aurais envoyé un écrit d’une tierce personne ? Je te le redis tu me connais à peine…

- Tu sais, on ne connaît jamais vraiment quelqu’un…

- Je te le disais que j’écrivais tu ne m’as jamais demandé quoi… alors aujourd’hui ne t’étonne pas et pourquoi ça ne serait pas de moi j’ai du mal à te comprendre tu ne… »

Elle aussi est piégée par l’intransigeance de Messenger.

« tu ne cherches pas à connaître l’autre et après tu es étonne c’est un paradoxe. »

Tandis que je tape ma réponse, elle enchaîne :

« Tu sais ce n’est pas très important pour moi, d’autre profite de mes écrits. »

Ma colère enfle instantanément. J’efface la gentille réponse que je préparais et tape furieusement :

« L’autre je vois qui c’est. Si tu penses me rendre jaloux tu fais erreur. Je ne suis pas jaloux de nature. À défaut de me rendre jaloux, tu te rends méprisable.

- Ça te va bien de dire ça. Toute la marina est au courant que tu es parti pour voir une autre femme. De quoi j’ai l’air ? D’une conne et c’est de ta faute… »

Les mots se pressent dans ma tête. Elle ne semble pas comprendre que ma trajectoire, à moi, est cohérente, autant que possible, compte tenu des figures imposées que lui impriment ses errements. C’est bien elle qui m’a relancé, alors qu’elle était presque sortie de mon cœur, oui ou non ? Le soufflé est remonté, puis est retombé. J’ai programmé ce voyage en France, et c’est bien elle qui m’a pris à contre-pied, avec son retour. Il faut bien qu’elle accepte les conséquences de ses actes, non ? Tout ce qu’il fallait, c’est un peu de confiance en moi, de confiance en elle, un peu de foi dans le futur, un peu de patience ! Un petit mois de purgatoire, c’était trop ?

J’écris :

« Tu dis que tu m’aimes, c’est un drôle d’amour, qui veut faire de l’autre un pantin, une girouette ! Mais pourquoi discuter, c’est du passé tout ça maintenant.

- Ça c’est des mots. À quoi tu joues ? Tu sais si elle te plaît, tu as ma bénédiction… et je pense qu’elle te plaît…

- Et toi avec ton cadre bancaire, je te reproche quelque chose ?

- Moi je t’ai rien caché. Toi tu m’avais dit que tu me dirais tout, je savais que tu ne dirais rien (que pouvais-je lui dire ? Que j’avais déjeuné avec la personne ? Je le lui ai dit, au téléphone !) Tu sais je suis très grande pour tout encaisser j’ai vécu pire. En tout cas je ne vais pas attendre ton retour pour savoir il en est hors de question. Si tu m’avais dit la vérité au sujet de cette femme quand je suis revenue je ne serais jamais restée alors tu vois bien que tu es menteur tu devrais t’en prendre qu’à toi-même de la situation ou tu nous as mis enfin maintenant c’est du passé comme tu dis et tant mieux cela m’a permis de connaître un homme que tu considères comme vulgaire mais il va m’apprendre à naviguer chose que tu étais incapable de faire (tu parles, en navigation tu passais ton temps à dormir !) mais surtout il me dit des mots doux ça me change de toi (ah bon ?) et figure-toi je pense qu’il peut me redonner le bonheur que j’avais oublié, il est tendre attentionné aimant gentil il s’intéresse à mon avenir certes je ne l’aime pas autant que je t’aime (toujours la douche écossaise !) mais où est l’amour dans tout ça je me sens bien avec lui j’aurais pu me sentir aussi bien avec toi mais nous avons réellement un problème de communication. Maurice m’apporte ce que je cherchais (un enfant, peut-être ?) j’espère que ta compagne (ma compagne !) t’apportera ce que je ne t’ai pas apporté cela dit je n’ai aucune haine contre toi seulement de la tristesse. »

Passée au hachoir de Messenger, la diatribe de Samia a déclenché plusieurs réponses virulentes aussitôt effacées. Je ne suis pas de nature jalouse, mais imaginer ce vieux beau à la peau flasque baver des tendresses à ma bien-aimée !

Elle met un terme à la conversation en affirmant qu’elle m’aime quand même, et qu’on se retrouvera certainement un jour, au coin d’un quai.

Décidément, avec Samia, c’était toujours au coin d’un quai ! Je me vois en Gabin, et elle en Michèle Morgan. Il ne manque que les brumes, sinon celles de l’alcool.

Quatrième rupture en sept mois, si je compte bien.

Je retourne à ma boîte de réception. Il y a un long message de Fanny, qui proteste : jamais, au grand jamais, elle n’ira vivre sur un bateau à l’autre bout du monde, et même pas sur le Canal du Midi. En plus, elle n’a jamais pris l’avion de sa vie, alors traverser l’Atlantique !

Je passe quelques jours misérables à Peyreladame. Le froid et l’ennui m’en chassent. Dans le TGV qui me ramène à Paris, j’observe que quand on n’a pas les moyens il ne faut pas faire le malin. Je vérifie sur mon agenda. Mon vol retour est pour le 27 octobre. On est le 29 septembre. Qu’est-ce que je vais faire pendant quatre semaines, en dehors de voir Mathilde pendant le week-end ? Il faudra que j’aille chez Iberia, pour voir combien coûterait un changement de date.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article