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Triptyque

Fausses confidences

 

Résumé

Frédéric et Samia se sont retrouvés à Aix-en-Provence. Leur précédent divorce a duré un mois ! Ils sont hébergés chez une amie de Samia, Rachida. Les voici se promenant dans la ville, avec le chien Djali. Interrogée, Samia va raconter avec assurance sa croisière avec Maurice,  tandis que Frédéric se prendra les pieds dans le tapis.

 

Compte-rendu – Un fiasco – La gaffe – Appel malencontreux – Pris au piège – Sur la défensive – Le monde pour témoin – Virginité moquée - Une lycéenne ambitieuse.

 

 

Des gens en tenue légère déambulent. On se croirait, en ce milieu du mois d’octobre, en pleine saison estivale. Aix fourmille de touristes. Nous trouvons une table à la terrasse d’un café, dans une rue piétonne. Je ne peux me retenir.

- Alors, ça s’est passé comment votre balade sur Roudoudou ?

- Oh ! Ça a bien commencé. On est allé à Tortuga, c’est très joli, surtout le mouillage au bout de l’île…

- Herradura ?

- C’est ça, Herradura. On a retrouvé d’autres bateaux et puis on est parti à trois voiliers pour rentrer à Puerto la Cruz. Là on a eu un problème. Je ne sais pas pourquoi ni comment, mais on a touché un récif…

- Tu veux dire, à Herradura ?

- Non, à l’autre mouillage, là où il y a la guarda.

- À Caldera ?

- Oui je crois. Caldera c’est ça.

- Pas trop de dégâts ?

- Non, mais il y avait quand même un gouvernail qui était tordu. C’était très dur de tourner la barre. On est revenu, mais c’était pénible. L’équipier de Maurice était sans arrêt en train de me chercher. Je serais bien revenue sur Marjolaine à t’attendre, mais après ce que tu m'as dit… De toute façon je voulais retourner en Martinique. Là-dessus j’ai appris la mort de ma mère, alors raison de plus. Je suis repartie avec Maurice. En route, un moteur est tombé en panne. On s’est traîné à deux ou trois nœuds jusqu’au Marin, et voilà…

- Et sinon, sur le plan personnel…

- Comment ça, sur le plan personnel ?

- Eh bien comment dire ? Vous couchiez bien dans la même cabine, lui et toi ?

- Oui, c’est vrai, mais c’est pas ce que tu penses.

- Samia, mon chou, tu ne vas pas me faire croire que vous avez passé trois semaines ensemble…

Trois semaines. On n’a jamais passé autant de temps ensemble, d’affilée.

- Moins de trois semaines…

- Bon, près de trois semaines ensemble, en couchant dans la même cabine, sans qu’il se soit passé quelque chose entre vous !

- Ça dépend de ce que tu appelles quelque chose.

- Bon, s’il faut préciser ce quelque chose, c’est coucher ensemble, faire l’amour quoi !

- Oui et non.

- Oui et non ! Mais ça veut dire quoi merde !

- Ça veut dire qu’une ou deux fois, il s’est rapproché de moi, il m’a caressée, moi ça ne me disait rien, mais je l’ai laissé faire, par gentillesse. Il était très doux, très tendre. Il a essayé de me faire l’amour mais il n’a pas pu. Il ne bandait pas, ou presque pas, tu comprends ? Je lui ai dit que ça ne faisait rien, que ça n’avait pas d’importance. Après il a essayé encore une fois. C’était aux Testigos. Là encore il n’a pas pu. Ensuite il est devenu désagréable. Il faut dire qu’avec ce problème de moteur…

- Et son copain ?

- Son copain ? Un vrai abruti, qui picolait sans arrêt. Je me demande où il l’a pêché celui-là !

Je digère l’information et fais signe au serveur de nous apporter une deuxième tournée.

- Tu me crois ?

- Bien sûr, je te crois.

- Je te crois bien, moi, quand tu me dis que tu n’as pas couché avec ta toulousaine.

- C’est vrai, je n’ai pas couché avec elle. On s’est embrassé une fois, c’est tout.

- Rien que ça ! Et tu disais que tu m’aimais !

- Je t’aimais, je n’ai jamais cessé. Notre problème, c’est qu’on ne réussit pas à vivre ensemble.

- Pour vivre ensemble, il faut avoir confiance, avoir des projets d’avenir. Qu’est-ce qu’on a comme projets ? Rien. Et puis il y a cette autre femme, celle dont tu m’as parlé. Celle avec qui ça dure depuis dix ans… Ne prends pas cet air-là, tu sais très bien de qui je parle !

- Mais oui je sais : Françoise. Mais je t’ai déjà tout dit, à propos de Françoise.

- Tu ne m’as rien dit du tout, simplement que tu la revoyais régulièrement.

- Françoise c’est très simple, même si ça semble incroyable. C’est une femme que j’ai connue il y a dix ans, en effet, et à qui je dis depuis dix ans que je ne l’aime pas, et qu’elle ne doit pas se faire d’illusions.

- Ne me prends pas pour une idiote s’il te plaît.

- Dieu m’en garde. Le fait est qu’elle a réussi à se cramponner à moi, par tous les moyens. Chantage, persécutions diverses…

- Et tu t’es laissé faire ? Raconte ça à qui tu veux mais pas à moi ! Je te connais un peu, tu n’es certainement pas quelqu’un à qui on peut faire faire quelque chose qui ne te plaît pas.

- Oui, ça semble incroyable, je sais. Mais il y avait aussi quelques bons côtés. Il y a des moments où j’ai eu besoin d’elle, elle m’a rendu quelques services, et elle a été seule à le faire. Je pouvais compter sur elle, elle aurait fait n’importe quoi pour moi.

- Finalement, tu as un côté maquereau que je ne connaissais pas.

- Non… enfin, si, peut-être.

- Et maintenant ?

- Oh, maintenant, c’est fini. Je ne la revois plus. La dernière fois, c’était quand je suis venu en France, en avril. On était séparé, tous les deux, à ce moment-là rappelle-toi. J’ai passé deux nuits avec elle en Normandie. Elle m’avait demandé de l’emmener, parce qu’elle ne pouvait pas conduire…

- Et tu l’as baisée, bien sûr.

- Une fois. Si tu appelles ça baiser.

- Tu joues sur les mots. Quand on est dans le même lit et qu’on a des rapports intimes, j’appelle ça baiser.

- Disons plutôt que je la laisse me faire une petite gâterie. Je ne la touche pas, je ne l’embrasse pas, je me laisse faire, tout simplement. Mais tout ça c’est fini, je t’assure.

- Bon, n’empêche, je la sens qui rôde autour de toi. C’est comme Maurice.

- Comme Maurice ?

- Oui, il a une femme dans sa vie. C’est pareil, il me dit qu’il ne peut pas s’en débarrasser mais je crois qu’il a un sentiment pour elle. La façon dont il en parle… Toi, je ne sais pas…

- Moi, je peux te jurer que je n’ai pas, que je n’ai jamais eu l’ombre d’un sentiment d’amour pour Françoise, seulement un peu de tendresse, un peu de pitié, quand je voyais qu’elle ne réussissait pas à laisser tomber. Cent fois je lui ai dit que ça serait la meilleure chose pour elle. Tiens, encore l’autre jour…

Trop tard pour se rattraper. Quel con !

- L’autre jour ? Mais tu viens de me dire… Mais quel menteur tu fais ! C’est incroyable !

- Je l’ai vue, bon, juste cinq minutes, au café. Elle avait oublié un blouson sur le bateau. Je ne pouvais pas faire autrement que de le lui rapporter. C’est bien la preuve que je n’avais plus l’intention de la laisser venir sur Marjolaine. Sinon je lui aurais rendu le blouson à la prochaine occasion.

- Ouais. Tu lui a apporté son blouson, et c’est tout ?

- C’est tout, je t’assure.

- N’empêche que tu viens de mentir, encore une fois. Je ne sais pas si je pourrai jamais te croire, Frédéric.

- Crois-moi, entre Françoise et moi, il n’y a rien, et le peu qu’il y a eu c’est terminé.

- Et tu n’as pas couché avec elle, cette fois-ci ?

- Non !

-Tu sais, tu pourrais me le dire, maintenant.

Cela n’arrive pas seulement dans les mélodrames, mais aussi dans la vraie vie. Le portable sonne. Je jette un coup d’œil sur l’écran. C'est Françoise. Je coupe la communication, et vais pour éteindre l’appareil, mais déjà le carillon imbécile revient.

 

- C’est elle ? J’en suis sûre. Pourquoi tu lui réponds pas ?

- Parce qu’elle me dérange. Ça fait dix ans qu’elle me dérange.

- Réponds-lui quand même, on ne sait jamais, insiste Samia, et j’obéis.

- Allo ! C’est moi, Françoise. Je te dérange ?

- Non, enfin si, un petit peu. Qu’est-ce que tu veux ?

- Je voulais juste te parler du prochain… Mais où tu es ? Dans la rue ? Qu’est-ce que tu fais ? demande-t-elle d’un ton guilleret.

- Je ne suis nulle part et je ne fais rien. Et puis je te prie de cesser de me harceler au téléphone. Cela fait longtemps que tu aurais dû cesser, j’ajoute à l’attention de Samia.

- Je te harcèle ? Cela fait au moins trois jours que je ne t’ai pas appelé. Et puis, qui est-ce qui m’a appelé le premier ? Si tu ne veux pas qu’on t’appelle, commence par ne pas appeler toi-même !

- Je t’ai appelée pour ton blouson, tu le sais très bien. Bon, je raccroche, je suis occupé.

- Attends… Tu n’es pas seul, c’est ça ?

- Non je ne suis pas seul, et je n’ai pas de comptes à te rendre. Là-dessus ciao !

Je raccroche, assez satisfait de ma prestation. Samia observe :

- Elle va rappeler.

- C’est sûr. Je vais l’éteindre, comme ça elle nous fichera la paix.

- Non, n’éteins pas. Quand elle appellera, laisse-moi répondre. Tu verras, après elle t’ennuiera plus.

- Non… Non, c’est pas bien…

Je suis sur le point de dire « la pauvre ». Samia me regarde d’un air soupçonneux.

- T’inquiète pas, je ne vais pas la manger ta Françoise. Je vais juste lui dire de nous laisser tranquille. De quoi t’as peur ?

Je cherche fébrilement une porte de sortie, et n’en trouve pas. Je suis pris au piège. Quand la sonnerie revient, Samia saisit le récepteur posé sur la table. Françoise croit sans doute s’être trompée de numéro, car Samia explique :

- Oui, c’est bien le portable de Frédéric. Il m’a chargé de répondre. Je suis sa petite amie.

J’éprouve une douce joie en me voyant conférer ce titre, et en pensant à la tête que doit faire ma toquée harceleuse.

La conversation dure, et Samia ne répond que par monosyllabes. Finalement, elle me tend l’appareil.

- Tiens, je te la passe. Tu veux peut-être lui fixer un prochain rendez-vous ?

Je me sens pâlir, et demande à Françoise :

- Qu’est-ce que tu lui as raconté ?

- Rien de terrible, je lui ai simplement décrit notre dernière galipette, à ta fiancée.

- Je m’en doutais, vois-tu, et je m’en fous. Si tu aimes te ridiculiser, c’est ton affaire. Samia sait très bien ce qu’il en est, pour nous deux.

- Elle le sait très bien, j’ai eu quand même l’impression de l’avoir un peu surprise, ta petite chérie.

- Ta vulgarité, ta bassesse, ton absence de pudeur, l’ont peut-être surprise, en effet. Bon, adieu !

Le silence s’éternise, puis Samia fait d’un ton neutre :

- De toute façon je le savais. Alors c’est pas une surprise.

Comme je ne réagis pas, elle articule :

- Pauvre Françoise…

- Pauvre Françoise ?

- Pauvre Françoise, qui a eu la malchance de tomber amoureuse d’un type comme toi, elle aussi.

- Pauvre Françoise ! Tu veux dire Françoise ma persécutrice, Françoise la cinglée, Françoise qui me dénonce aux flics parce que je ne l’aime pas, Françoise qui me poursuit aux quatre coins du monde, Françoise qui n’admet pas que je suis libre d’aimer qui je veux ! Ça fait dix ans qu’elle se cramponne à moi la pauvre Françoise, qu’elle me bouffe le foie, qu’elle me martyrise, et ça continue encore aujourd’hui, et tout ça pour quoi ? Pour quelle raison ? De quel droit ?

- La pauvre Françoise, tu sais ce qu’elle m’a dit ? « Vous êtes sa petite amie ? Très bien. Vous savez avec qui votre petit ami était au lit, l’autre jour ? Si vous ne me croyez pas, je peux même vous donner l’adresse de sa garçonnière ». C’est vrai, tu as une garçonnière à Paris ?

- Une garçonnière ? Mais non ! Juste une chambre de bonne que m’a prêtée une amie de ma sœur.

- À Montparnasse ?

- À Montparnasse. D’ailleurs…

- Donc, elle ne me raconte pas d’histoires. Tu as bien couché avec elle. Tu ne t’es pas contenté de lui ramener son blouson.

- Mais c’est elle… Bon, elle m’a demandé comme un service de l’héberger, une nuit, seulement une nuit. Je me suis fait avoir, comme d’habitude. C’est normal après tout. On était séparé, rappelle-toi. Je ne savais même pas que tu étais en France, j’ajoute bêtement.

- Je ne te demande pas d’explications, tu as le droit de coucher avec elle autant que tu veux si ça te chante. Mais ne compte pas sur moi pour tenir la chandelle.

- Samia, mon chou… Je n’ai aucune envie de coucher avec qui que ce soit, sinon avec toi… Tu le sais bien.

- Ce que je te reproche, ce n’est pas d’avoir couché avec elle. C’est vrai, on n’était pas ensemble. Ce que je te reproche c’est de mentir. Il n’y a pas dix minutes, tu affirmais que tu ne l’avais pas vue depuis le mois d’avril. Ensuite tu m’as dit que tu l’avais vue, mais seulement au café. Maintenant, j’apprends que vous avez passé la nuit ensemble, et que vous avez fait l’amour, et que tu y as pris beaucoup de plaisir, c’est ce qu’elle m’a dit. Comment je peux avoir confiance en toi ?

- Je suis désolé. C’est vrai je t’ai raconté des histoires, mais c’est que… c’est que j’ai tellement peur de tes réactions, j’ai tellement peur de te perdre encore une fois. Je n’aurais pas dû. Mais comment tu aurais réagi, si je t’avais dit la vérité ? Je suis sûr que tu l’aurais mal pris.

- Non ! Pourquoi ?

J’esquisse une grimace dubitative.

- Écoute Samia, tu sais les sentiments que j’ai pour toi. Il faut que tu me pardonnes.

- Pour être pardonné, il faut le demander. C’est toi-même qui me l’as dit, un jour.

- Très juste. Alors, je te demande ton pardon.

- Bon, je te pardonne.

Elle me pose un baiser sur la joue, qui se transforme en baiser sur la bouche. Je pense aux gens qui nous regardent peut-être, amusés. Je n’en suis pas mécontent. Je voudrais que notre amour soit évident pour la terre entière, et que lo digan en la China, que lo digan en la luna, comme le chante Carlos Vives.

Samia :

- Tu es vraiment la seule personne que j’ai tant de plaisir à embrasser, de toute ma vie.

- Moi aussi.

- Tu es sûr que tu ne l’embrassais pas sur la bouche, ta Françoise ?

- Ça, je peux te le jurer, juré craché.

- Bon, je te crois, il faut bien.

La dîner se passe tranquillement. Rachida s’excuse d’aller se coucher tôt. Elle doit repartir à neuf heures et a besoin de s’étendre un peu en attendant. Elle a dormi en rentrant, à cinq heures, mais a été réveillée une heure plus tard par sa fille, revenue d’on ne savait où. Les reproches ont glissé sur la jeune Sandra qui, pendant l’apéritif et le repas, n’a cessé de me considérer avec un mélange de curiosité, de fausse indifférence et d’hostilité jalouse. Elle ne paraît pas ses dix-neuf ans, est rondelette, avec une figure quelconque. Rien dans sa physionomie ne trahit une ascendance maghrébine, mais elle parle comme les gamins des cités. Samia m’a confié qu’elle était très complexée, parce que ses copains et copines du lycée se moquent d’elle, pour ne pas avoir encore couché.

- Je lui dit et je lui répète qu’il n’y a pas de gloire à coucher avant d’en avoir envie, tu n’es pas d’accord ?

Je suis bien d’accord. Mathilde a peut-être ce même genre de préoccupation. Pour me concilier cette petite jeune fille visiblement mal dans sa peau, je m’adresse à elle, tandis que les deux femmes font la vaisselle.

- Tu sais, j’ai une fille qui a presque ton âge. Elle aussi, elle est en première.

- Et qu’est-ce qu’elle fait, en première ?

- Littéraire.

- Moi aussi j’aurais bien aimé faire une première générale. Mais ils ont pas voulu et ils m’ont collée en technique. J’en ai rien à foutre, de leur bac technique. Je veux pas faire coiffeuse.

- Ah ? Et qu’est-ce que tu aimerais faire, comme métier, plus tard ?

- Moi ? Je voudrais faire pipeule.

Je crois avoir mal entendu ; puis je pense à un trait d’humour. Sandra, agacée et méprisante :

- Oui, pipeule. Vous ne connaissez pas, vous êtes trop vieux. Les gens dans les magazines, quoi ? Vous voyez bien ce que je veux dire !

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