Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Triptyque

Allegro furioso

Où, dans ce nouvel épisode de « La Mouche », Françoise se montre fine mouche ; où, dans son journal post mortem, elle psychologise Frédéric ; où elle se confronte avec un spécimen féminin du vagabondage nautique, puis avec un Frédéric rien moins qu'avenant ; comment obtient-elle une victoire à la Pyrrhus ; où Frédéric explique à Balladur le problème des réformes.

Françoise avait passé la première partie du mois d’août en Pologne. Dans Paris déserté, la détresse l’envahit. Cela faisait maintenant depuis le mois de mai, depuis Venise, qu’elle n’avait plus aucune nouvelle. Était-il revenu en France ? Probablement, puisque son projet était de finir la préparation du « Marjolaine » avant de partir, en septembre. Il était sans doute quelque part sur le côte méditerranéenne, mais où ?

Il allait traverser l’océan sans la revoir. Elle était certaine que seul l’amour-propre l’empêchait de reprendre contact. C’était à elle de le faire, puisqu’elle était plus raisonnable, et moins susceptible.

Depuis la mi-juillet, il était devenu impossible de l’appeler. Sans doute avait-il changé de numéro sur un coup de colère. Heureusement, elle avait fouillé ses affaires, pendant qu'ils étaient à Venise. Prétextant la fatigue, elle avait laissé Frédéric se promener seul Place Saint-Marc. Elle s’attendait à trouver dans son agenda une vie parallèle, des maîtresses. Il n’y avait rien de ce genre. Revenaient seulement des « Mathilde », les jours où elle dormait chez lui, et des rendez-vous de travail. Le carnet d’adresse était autrement intéressant. Elle avait copié tout ce qui pouvait servir. Le prénom de l’acheteur de son précédent bateau, Nicolas, figurait à côté d’un numéro dont l’indicatif correspondait à la ville de Montpellier.

De sa voix d’interprète professionnelle, elle se présenta :

- Françoise Mouche, vous vous souvenez ?

- Françoise, l’amie de Frédéric ? Comment va-t-il ? Il ne m’a pas appelé depuis l’an dernier. Vous savez, on a fait un bout de chemin ensemble, en Grèce.

- Je sais, je l’ai retrouvé ensuite à Égine. Tout va bien avec son ancien bateau ?

- J’en suis très content. Je vais bientôt prendre l’avion pour Athènes, avec Angélique. On va le ramener en France.

- C’est comme Frédéric, il est revenu sur la Côte, il a mis le bateau au chantier, du côté de Hyères. Vous le connaissez, d’ailleurs, ce chantier, vous y êtes allés ensemble. Il m’a demandé de le rejoindre, mais il ne m’a pas donné de précisions. Je ne réussis pas à l’avoir au téléphone. Bon, je me débrouillerai sur place...

- Bien sûr, tout le monde dans le coin doit connaître le chantier Gros. Mais je croyais que vous étiez fâchés, vous et Frédéric. Il m’a appelé en arrivant en France.

- Fâchés ? On est fâché sans arrêt, et on se remet ensemble. Il y a des hauts et des bas, comme tout le monde… Et comment va le petit garçon, si mignon ?

- Un vrai voyou, il n’arrête pas de faire des bêtises. Hier, il a renversé un pot de fleurs sur le clavier du piano. Il n’aime pas quand je m’exerce. Il n’aime pas non plus la dame qui me donne des cours. Il a raison d’ailleurs, elle est laide et a des poils au menton, presque autant que moi !

Françoise mit fin à la conversation, non sans avoir demandé le nouveau numéro de Frédéric. Nicolas, distrait ou machiavélique, le lui donna.

Elle hésita à appeler, et puis non. Arriver sans prévenir, cela ferait une meilleure surprise.

…................................................................

Tout ce que je faisais, je le faisais pour lui. Je savais mieux que lui ce qu’il voulait, seul l’amour-propre l’empêchait d’y voir clair. Comme tant d’autres hommes, sa mère SUPER-PROTECTRICE l’avait dégoûté des femmes. Je n’arrêtais pas de penser à « Marjolaine », à l’immensité du ciel et de la mer, depuis mon IMMENSITÉ de pierres et d’êtres humains. Savait-il à quel point il était privilégié ??? Il avait beau jeu de me répondre que sa vie, il l’avait choisie, et que je n’avais qu’à en faire autant. Comme si c’était facile, quand on est né dans un quartier pourri, dans une famille de prolos ! Et cette maladie, qui a failli ME TUER !! Lui, une enfance choyée, dans une famille d’artistes, à NEUILLY! Facile, d’écraser les autres avec des « vous n’avez qu’à en faire autant » !

…................................................................

Quand Françoise arriva au chantier Gros, ses yeux la brûlaient de sommeil. Dix fois, lui semblait-il, elle avait frôlé l’accident. Elle s'engagea prudemment sur un chemin de terre qui allait vers la mer. Elle vit enfin les bateaux rangés derrière le haut grillage qui délimitait le terrain. Au bout, il y avait une barrière ouverte. Françoise préféra laisser sa voiture dehors. Elle avança dans le chantier, regardant à droite et à gauche. Près d’un voilier sans mât, à la coque verdâtre, il y avait trois enfants : un grand garçon noir, une petite fille râblée, très brune, et une grande fille longiligne, toute blonde. Des planches étaient posées par terre. Le garçon brandissait un bout de bois et hurlait : « Rendez vous, ou vous serez pendues par les pieds jusqu’à ce que mort s’ensuive ! » Trois emplacements plus loin, elle vit « Marjolaine ».

Elle contourna le voilier jusqu’à l’échelle permettant de grimper à bord. Son visage arrivait au niveau du pont quand une voix la héla.

C'était une petite femme brune, à la tignasse noire, habillée avec un short informe et un débardeur tâché de peinture. Ce spécimen féminin du vagabondage nautique s'approcha.

- Je suis une amie de Frédéric, se défendit Françoise. Il n'est pas ici ?

La femme avait des traits durs, mais un large sourire découvrait ses dents très blanches mal plantées.

- Vous savez, il ne faut pas monter sur un bateau sans permission. Frédéric est allé faire des courses. Il ne va pas tarder. Vous pouvez l’attendre à côté, si vous voulez.

De quel droit cette espèce de clocharde restait là, comme pour la surveiller ? Françoise descendit l’échelle et retourna vers sa Peugeot.

Quand elle se réveilla, il faisait nuit noire. Des grillons chantaient, assourdissants. Dans le chantier, quelques projecteurs trouaient l’obscurité. En passant à proximité du bateau vert, elle entendit des voix qui sortaient d’une tente, dressée à côté. « Méline, pour la dernière fois… ! ».

L’échelle était toujours appuyée à l’arrière de « Marjolaine ». Une faible lumière sortait des hublots. Elle entendit la musique. Elle appela, pas assez fort pour couvrir les arpèges furieux. Elle monta, et réitéra son appel. Au moment où elle passait dans le cockpit, le buste de Frédéric apparut dans l’encadrement de la descente. En reconnaissant Françoise, son sourire accueillant - il espérait Maria - s’effaça brusquement.

- C’est toi !

Plus fort, tandis que la colère prenait la place de l’effarement :

- Qu’est-ce que tu fais ici? Comment tu es arrivée ?

L’apparition d’un spectre ne l’aurait pas ému davantage, pensa Françoise. Elle avança de deux pas. Ils furent face à face, à se toucher. Il s’essuya la bouche avec le dos de sa main. Il devait être en train de dîner.

- Écoute, Frédéric, je suis venue, comme ça, mais ne t’inquiète pas, je ne fais que passer. D’ailleurs je suis en voiture, je vais repartir tout de suite. J’étais dans la région, j’ai pensé te faire un petit coucou.

Il fallait parler, très vite, sans laisser de temps mort, pour qu’il ne reprenne pas ses esprits. C'était comme ça qu’on réussissait à désarmer l’agressivité, à empêcher les chiens de mordre. Parler, parler, tout en se rapprochant pour amadouer la bête, lui faire sentir ses intentions pacifiques. Frédéric recula d’un pas, butant contre la barre à roue.

- Françoise, tu vois où nous sommes. On est à trois mètres de haut, au-dessus d’un sol très dur. Si tu ne redescends pas immédiatement cette échelle, je te fais passer par-dessus bord.

Elle esquissa un petit pas en avant. Il posa sa main à plat sur sa poitrine pour la maintenir à distance, la paume entre ses seins menus, sur lesquels elle s’obstinait à mettre un soutien-gorge pour en grossir le volume.

- Je te promets, je m’en vais tout de suite. Ne fais pas le méchant, je suis sûre que tu en as envie, une dernière fois…

- Non, non et non ! Le coup de la dernière fois, tu me l’as déjà servi. Et tu étais supposée ne jamais venir me voir. Tu as promis ! Tu ne tiens donc jamais tes promesses ?

- Les promesses, tu sais… Quand on aime quelqu’un…

- Mais je n’en veux pas, de ton amour, je n’en veux pas ! J’ai le droit de ne pas en vouloir, non ? Pour toi, l’autre, ce qu’il veut, ça compte pas ? Ça compte pour rien ?

L’indignation lui fit encore hausser la voix, pour la baisser aussitôt. Qu'allait penser Maria? Cette idée l’exaspéra davantage.

- Frédéric, je t’en prie, j’en ai envie, une seule fois, j’ai envie de te faire plaisir, et je m’en vais tout de suite après, je te le jure !

Il aurait fallu lui coller une gifle, et la flanquer dehors. Mais la main de Françoise s'était doucement approchée, et descendait vers son ventre. Il gronda :

- C’est ça que tu veux ? M'en faire une vite fait ? Mais je te préviens, tout de suite après tu caltes, et je ne veux plus te revoir.

Elle s’accroupit aussitôt. Sa bouche mordit doucement le sexe qui grossissait sous le tissu du pantalon de survêtement coupé aux genoux. C'était vaguement pelucheux. Elle saliva sur le coton, qui sentait la sueur. Frédéric était dompté. Les leçons de Simone, ses projections de films porno, n'avaient pas été vaines. Frédéric dit dans un souffle :

- Bon. Mais je te préviens. Dès que tu as fini, tu dégages.

Tout en se retirant, puis en le happant à nouveau, elle pensa à une plaisanterie idiote. La masturbation rendait les hommes sourds, la fellation rendait les femmes muettes. Frédéric posa ses deux mains sur la tête de Françoise, et fit aller violemment son sexe dans la bouche docile.

…................................................................

Hyères, lundi 13 août 2001

Mathilde ramenée la semaine dernière à Paris. La suite de ses vacances l’emmène à Biarritz, avec sa mère et Olivier.

Françoise a recommencé à me persécuter, ici, au chantier. Elle m’a déniché je ne sais comment. Cette fille est une plaie, dingue à enfermer. Vivement que je m’éloigne !

Edouard Balladur sur RMC. Il a écrit un bouquin sur la difficulté de réformer. Je vais modestement lui expliquer : réformer, c’est prévenir. Prévenir, c’est agir avant que le problème n’existe aux yeux de l’opinion. C’est donc impopulaire, impossible même, dans les démocraties actuelles, dont le principe moteur est le clientélisme.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article