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Triptyque

Le féminisme des benêts

Où Frédéric part en vacances avec sa fille ; les préoccupations de celle-ci, et de celui-ci ; ce qu'il voit comme un tissu de mensonges ; les plaisirs qu'il anticipe, qui ne sont pas tous de l'ordre de la paternité.

Les dernières vacances avec sa fille avant le grand départ.

Pour elle, c'était alors que tout allait changer : le papa à la sortie de l’école, le trois-pièces de la rue de l’Église, ce serait fini.

Ces vacances, le père et la fille allaient les passer en faisant du camping sur le chantier où était entreposé « Marjolaine » depuis son retour de l'Adriatique.

Frédéric prit la route du Midi. À côté de lui, Mathilde. À l’arrière du Land Rover, les bicyclettes, le matériel de camping, et les cartons de jouets que Mathilde avait décidé de vendre aux puces, après un tri soigneux. L’idée de jouer à la marchande pour de vrai enchantait l’enfant.

Ils firent étape à proximité de Lyon, puis le long d’une rivière en moyenne montagne, dans l’Aveyron. Ils continuèrent par de petites routes vers la Provence, au rythme tranquille du gros 4 x 4.

Le père et la fille avaient beaucoup à se dire. Mais Mathilde n'était pas bavarde, pour une enfant qui allait sur ses huit ans. Elle n’aborda pas le sujet de sa vie à la maison. Il y avait pourtant de quoi raconter, avec l'appairage puis le mariage de sa mère, la naissance d’un petit frère trois mois auparavant, et le nouveau logis, dans un ensemble d’immeubles en briques, proche des boulevards extérieurs, dans le quatorzième arrondissement.

- Papa, je vais aller dans une autre école à la rentrée, tu sais ?

- Je sais ma chérie. Tu vas te faire plein de nouveaux copains.

- Mais… mes amis d’avant, alors je ne vais plus les voir ?

- Mais si, tu les verras. Tu les inviteras chez toi, dans ta nouvelle maison, et ils t’inviteront. Ce sera un peu moins souvent, c’est tout.

Et peut-être même pas souvent du tout, ajouta-t-il pour lui-même avec aigreur. Chacun des trois domiciles successifs d’Isabelle, après son départ, l’avait éloignée davantage de son ancien quartier, toujours plus à l'Est. Malgré cela, tant que Frédéric avait continué d’habiter au même endroit, beaucoup de choses étaient restées égales pour l’enfant. À son ancien cadre de vie s'étaient simplement ajoutés des lieux inconnus, d’excitantes nouveautés. Il allait bientôt en être tout autrement. La chambre où elle avait vécu, plus jamais elle ne la reverrait. Le choc de la séparation, que Frédéric avait jusque-là atténué et retardé, prendrait toute sa déchirante signification. Une vague d’amertume et de colère, proche de l’exécration, envahit l’esprit du père, tandis que défilait le calme paysage de la campagne. Comment pouvait-on faire tant de mal à autant d’innocence, à autant de beauté, sans raison valable ?

Pouvait-il renoncer, de son côté, à s’éloigner ? Il imagina les dix ans à venir. La dure évidence, soigneusement masquée par les fabricants d’illusions, était qu’un enfant ne peut pas habiter en deux endroits à la fois. On ne pouvait le couper en deux. Tôt ou tard, et toujours davantage, sa maison, c’était celle du parent chez qui il habitait. Son quotidien, son éducation, c’était là qu’il les recevait pour la plus grande part. Tout le reste était un tissu de mensonges que les femmes avaient imposé avec la complicité des jobards sentimentaux.

La jolie route sinueuse suivait la petite rivière du Gapeau. Le ronronnement régulier du diesel se mariait avec le sifflement modulé de l’air passant par les vitres entr’ouvertes. La chaleur de ce début d’après-midi promettait de belles journées à la plage. Ils iraient en vélo, avec les enfants du chantier.

- Dis, papa, les amis qu’on va voir, ils sont comment ?

- Tu verras, ils sont très gentils. Ils t’attendent, je leur ai parlé de toi.

- Comment ils s’appellent ?

Il le lui avait déjà dit au moins dix fois, pendant le voyage.

- La fille s’appelle Méline, et le garçon Manolo.

- Méline, c’est un drôle de nom, hein papa ? Et ils ont quel âge ?

- Elle a un an de plus que toi, neuf ans. Le garçon est un peu plus grand, il a treize ans. Il y a aussi trois autres enfants sur le chantier, une fille qui s’appelle Aurore, et deux autres, les enfants du gardien, je ne sais pas leurs noms.

Un jour, la mère d’Aurore avait plié bagages, laissant la fillette à la charge du père, qui s’appelait alors Bernard. Bernard se nommait désormais Mohammed. C'était ainsi : on épousait une mauresque, et on se mariait à l'Islam. On convoitait une israélite, et on embrassait le Judaïsme. Frédéric s’arrêta au stop du croisement avec la route allant, à gauche, vers Hyères. Il la traversa, et continua de suivre le cours d’eau, au débouché duquel était implanté le chantier Gros.

- Dis, papa, tu sais comment il s’appelle, mon petit frère ?

- Oui, je sais ma chérie, il s’appelle Jules, ta mère me l’a dit.

- C’est joli comme nom, tu l’aimes ?

- C’est très joli ma chérie, et ça lui va très bien, j’en suis sûr.

Mathilde allait faire connaissance avec de nouveaux copains, et Frédéric allait retrouver son bateau. Il allait également retrouver Maria.

Il franchit l’entrée du chantier, et gara le Land sous un bouquet d’arbres.

- On est arrivé, ma chérie.

Mathilde sauta du 4 x 4 et fit le tour de « Marjolaine » posé sur bers. Elle n’avait pas revu le bateau de son père depuis l’été précédent, quand elle était venue à Corfou avec Valentine.

- Papa, ils sont où, les amis que tu me disais ?

- Là-bas, près du bateau vert. On va d’abord s’installer. Tout à l'heure on ira les voir.

Mais déjà les enfants de Maria et Sergio ravissaient Mathilde. Frédéric fit signe à Maria, qui s’affairait près du vieux Ford Transit avec lequel le couple faisait les marchés. Tout en déchargeant la voiture, Frédéric songea avec un plaisir anticipé à leur organisation. Il faisait trop chaud dans le bateau pour faire la cuisine. Il installerait leur popotte en plein air. Mathilde disposerait de la tente pour dormir, ou de l’arrière du Land. Il y avait les douches et les toilettes du chantier, la plage à proximité… Quel bon temps ils allaient avoir !

Trois semaines plus tard, Frédéric fit un aller et retour dans la capitale pour restituer Mathilde à sa mère.

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