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Triptyque

Les illusions dangereuses

 

Résumé

Avec Sonny Rollins en fond sonore, Frédéric et Samia sont passé aux aveux. Vérités et mensonges... Les flâneries dans les rues du Quartier latin ont abouti à Montparnasse, dans un restaurant où vont se poursuivre des confidences instructives.

Equipes féminines – Une experte – Des hommes en pleurs – Une femme parfaite – Mot tabou – Dire « oui » à la terre plate – Rencontre malgache – Boniments et ravissement – Du sperme et un ventre – Projet avorté – Intellectuels martiniquais – Pénis surdimensionnés – Débandade.

 

Au restaurant.

Deux femmes sont installées à une table voisine. L’une d’elles regarde Samia à plusieurs reprises, puis parle à sa compagne, qui acquiesce avec un sourire. Je dis à voix basse :

- On dirait que tu les intéresses, ma chérie…

- Si tu crois que j’ai pas remarqué ! Nous les femmes, nous sommes un peu plus sensibles que vous, tu ne savais pas ?

- Mais elles, qu’est-ce qui te fait penser qu’elles sont lesbiennes ? Ça n’est pas marqué sur leur figure !

- Non seulement je suis sûre qu’elles le sont, mais elles se doutent que je le suis, même en compagnie d’un homme. Il y a des signes qui ne trompent pas.

- Et elles te plaisent ?

- L’une d’elles, la brune, n’est pas mal, elle me rappelle Dolores, ma copine à Cartagena.

- Tu avais une amie à Carthagène ? Et moi qui te croyais fidèle !

Elle avance ses lèvres pour simuler un baiser.

- J’ai été fidèle, mais sans le vouloir. Dolores n’était pas tentée par une expérience homo. Ils sont très tradi en Colombie, j’ai l’impression. Et toi tu as été fidèle ? Je suis sûr que tu as dragué plein de Brésiliennes !

- Au Brésil, je passais mon temps à attendre tes mails, je pensais à toi sans arrêt. Les seules Brésiliennes qui m’aient vraiment plu, elles étaient onze, c’étaient celles de l’équipe de foot du Brésil…

- Ah ouais, celles qui ont battu les USA en finale.

- C’est ça. Et pendant tout le match, que j’ai vu à la télé à Santarem, je t’imaginais.

- Tu es gentil.

Je caresse doucement sa main brune aux ongles polis, passe un doigt sur son poignet. Elle porte une veste en jean sur une chemise agrémentée d’une petite broderie sur la poche de poitrine. Cela fait peut-être partie des signes de reconnaissance : la chemise de coupe masculine, les cheveux courts, les ongles courts, l’absence de maquillage, l’allure volontaire... Nous commandons la même chose, un tandoori d’agneau. En suivant des yeux le serveur, je vois que les deux femmes nous observent et cela m’amuse, sans plus. En matière de sexe, je garde des goûts simples. Pour avoir l’expérience de quelques partouzes, je ne vois pas trop l’intérêt de se mettre à douze pour honorer la dame.

- Finalement, j’ai eu quatre amours sérieux. Et toi, de combien de femmes es-tu tombée amoureuse ?

- Pas beaucoup figure-toi. Je ne compte pas la première, celle chez qui j’ai vécu quand ma mère m’a fichue à la porte. Sexuellement, ce n’était pas terrible, peut-être c’était de ma faute, j’étais encore un peu coincée. La première avec qui ça a bien marché, c’était Sophie. Je l’ai rencontrée en vacances. Elle était experte…

- À ce point !

- Comment ça ? Experte, tu ne sais pas ce que c’est ? Pour un ancien journaliste, c’est bizarre ! Bref, elle faisait des expertises pour les tribunaux avec une juge aux affaires matrimoniales, qui était homo également. Elle, elle détestait vraiment les hommes. Elle me racontait qu’il y en avait qui étaient en pleurs quand ils sortaient de son bureau. Ça la faisait rire. Elle exagérait un peu de ce côté-là, à mon avis.

- Une belle salope, oui.

- Eh bien c’est ce que j’ai pensé quelquefois. Elle n’était pas objective, mais je la comprends un peu. Son mari l’avait plaquée pour un homme, et du coup elle avait viré sa cuti. Sophie était très mignonne. La juge, elle n’avait pas beaucoup de charme. Elle ressemblait un peu à Eva Joly. Mais tu sais ce qu’on dit : ce n’est pas ce qu’on aime qu’on trouve beau, mais on trouve beau ce qu’on aime. Je veux dire…

- Oui, c’est ça, mon chou. On n’aime pas ce qu’on trouve beau, on trouve beau ce qu’on aime. Pour moi tu es très belle, bien que tu ne sois pas parfaite.

- Pas parfaite ? Je suis comme Mary Poppins, je n’ai aucun défaut, ni physiquement, ni moralement !

- Si tu veux, je ne discute pas. Tout pour que tu sois contente, mon amour.

- C’est curieux, dit-elle après réflexion, j’ai l’impression que tu n’es pas le même. Tu me surprends, depuis qu’on s’est revu.

- Je ne crois pas être différent. C’est l’environnement qui n’est pas le même. Ici tout est simple. On peut faire ce qu’on veut, chacun de son côté. Sur le bateau on est obligé de se plier à des règles.

J’évite soigneusement le mot tabou d’ « autorité ».

- Tu penses qu’on pourrait fonctionner comme ça ? Je veux dire se voir quand on le désire, et être indépendant le reste du temps ?

- Bien sûr, pourquoi pas ? C’est peut-être la bonne formule.

Je n’en crois pas un mot. La mise en pratique de ce style de relation est contradictoire avec la spécificité de l’errance nautique, faite de hasards, d’opportunités et de plaisirs imprévus. Il y a aussi l’aspect financier : les billets d’avion, avec quel argent ? Et les éventuelles rencontres : proscrites ?

Mais j’ai choisi de dire oui ou pourquoi pas à toutes les suggestions. Elle me dirait que la terre est plate que je n’écarterais pas cette possibilité. Il ne faut pas lui en imposer, par mon âge ou par mes connaissances. Il faut l’apprivoiser, ou du moins essayer, et de façon plus déterminée que je ne l’ai fait jusque là. Je suis peut-être sur la bonne voie. Le serveur apporte le rosé de Provence, et je lui indique de faire goûter Samia. Le rituel effectué, elle lève son verre.

- À nous deux.

- À nous deux. Au fait, tu ne m’as pas dit, à propos de ton amie Béatrix. Mais peut-être que tu préfères ne pas en parler.

 

Elle ne voit pas d’inconvénient à en parler, au contraire.

- Je ne veux pas avoir de secrets pour toi, Frédéric. Je suis franche de nature. Peut-être que ça t’incitera à être moins menteur.

Je me récrie. Elle m’oppose ses récentes cachotteries. Je lui répète qu’elles n’étaient que le résultat de sa peur de la perdre. Je craignais surtout son tempérament instable et illogique. Elle, rêveuse :

- C’est vrai que j’ai un peu de mal. Béatrix je l’ai beaucoup aimée, c’est même elle que j’ai aimée le plus, autant que toi je pense. Elle m’a beaucoup donné. Elle m’a donné le goût de la lecture, des arts… Elle était très généreuse. On s’est fréquenté pendant plus de deux ans. Je suis venu habiter avec elle. On habitait dans la vieille ville, un bel appartement. Elle gagnait bien sa vie comme prof.

- Vous vous êtes rencontrées à Toulouse ? À quelle époque ?

- C’était en quatre-vingt seize, ou en quatre-vingt dix sept. Mais on ne s’est pas rencontré à Toulouse. On s’est rencontré à Madagascar.

- Et tu vivais de quoi ?

- Crois-moi je ne manquais de rien, au début. J’avais de l’argent, ce que me devait un copain, tu sais, Gunther, je t’en ai parlé. Il y avait aussi les indemnités que j'ai reçues à mon départ de l’association. Le chômage également. Ensuite c’est devenu un peu plus difficile, mais je trouvais du travail. Quand j’ai rencontré Béa je bossais comme serveuse. Elle était en vacances. Entre nous deux ça a tout de suite accroché. Je suis revenue en France avec elle.

Une gorgée de rosé.

- Cela faisait des années que je n’avais pas mis les pieds dans ce pays. Je ne lisais jamais les journaux. Je me demandais ce qui s’était passé pendant tout ce temps. En arrivant à Roissy, j’achète Libé, on ne parlait que de la mort de cette grosse conne de Diana…

- C’est curieux, parce que, à cette époque, c’est-à-dire quand Isabelle m’a quitté, j’allais souvent à Toulouse, ou plutôt dans la maison de famille, à Peyreladame, quand c’était mon tour de prendre Mathilde en vacances. On aurait pu se croiser.

- On aurait pu. Il y a tellement de coïncidences dans nos vies tu ne trouves pas ? Rien que ce coup de hasard, dans l’escalier ! Combien d’anicroches, aussi !

- Oui. Je me rappelle ton poème. Je ne te l’ai pas dit, mais je trouve que ça ne manquait pas d’inspiration. Tu as eu tort de te vexer quand je t’ai demandé si c’était de toi.

- Tu ne me connais pas. C’est peut-être pour ça que je suis partie. J’ai rencontré un musicien à Aix, à qui je l’ai montré. Il m’a dit qu’il le mettrait en musique, et m’a demandé d’en faire d’autres, dans le même genre…

- C’est intéressant.

Ces femmes, toujours flattées, toujours maintenues dans l’ignorance par cette flatterie calculée, maintenues dans l’enfance par ces bonimenteurs qui les ravissent ! J’aurais aimé la délivrer doucement de ses chimères. Était-ce possible ? Les illusions qui enchaînent les femmes sont autant désirées que subies. On ne peut les briser qu’en blessant.

- Et dis-moi, combien de temps a duré votre couple, toi et ta Béatrix ?

- Assez longtemps pour qu’on fasse le projet d’avoir un enfant ensemble. Par insémination artificielle, s’empresse d’ajouter Samia en s’agaçant de mon étonnement plus ou moins simulé.

- Et… qui des deux ? Elle, ou toi ?

- Moi, naturellement. Il valait mieux que ce soit la plus jeune.

- Naturellement.

J’esquisse un scénario vraisemblable, celui d’une féministe homosexuelle militante, aisée financièrement, intellectuelle, s’offrant un enfant avec le sperme d’un copain et le ventre d’une beurette.

La conversation reprend tandis que nous sortons du restaurant.

- Alors, finalement, vous vous êtes séparées, toutes les deux, sans avoir d’enfant ensemble ?

- Moi et Béa ? Toi, on peut dire que quand tu as une idée en tête tu la suis jusqu’au bout !

- J’ai l’esprit diesel. Pas très vif mais obstiné.

- Oui, on s’est quitté. Je lui ai fait un sale coup, que je regrette maintenant. Je l’ai trompée avec une autre fille pour me venger. C’était idiot. Elle ne m’a jamais pardonné.

- Tu as fait ça ?

- Oui, et c’est d’autant plus bête que cette fille je n’avais aucun sentiment, aucune attirance pour elle. Elle était laide, vulgaire… Et stupide ! Quand j’y repense…

Je me garde de questionner, la sentant prête à livrer involontairement quelque chose qui me concerne de près.

On est allongé sur le lit, et le récit reprend sans que je l’aie sollicité. Samia et son amie étaient allées deux fois en vacances en Martinique. Samia avait eu envie de s’y installer. Elle en avait assez de la France, du froid et de l’ambiance. Il y avait de bons moments, comme la victoire en Coupe du Monde, mais il y avait eu aussi ces émeutes au Mirail, pendant dix jours, à cause du jeune qui avait été assassiné par un flic. L’ambiance devenait de plus en plus lourde, les fachos manifestaient contre le PACS et contre l’homosexualité, un nazi avait été élu en Autriche… Justement, à propos du PACS, Béatrice s’était montrée réticente, Samia ne savait pas pourquoi. C’était pourtant une bonne idée de tout mettre en commun, non ?

- C’est un peu pour ça que l’idée de l’enfant a été oubliée. L’idée de se pacser ne l’enchantait pas, et moi je faisais la sourde oreille quand elle me parlait de l’insémination. Mais on s’aimait toujours. Je lui ai proposé d’habiter en Martinique. J’en avais très envie mais pas elle. Elle tenait à son Toulouse, à ses vieilles pierres. Moi je manquais de soleil, de nature…

- J’imagine aussi que comme professeur d’histoire, elle n’avait pas très envie d’aller s’enterrer dans une île où les nourritures intellectuelles ne sont pas très raffinées !

Je capitule aussitôt en voyant le visage de Samia se fermer.

- Je veux dire, ton amie avait son boulot à Toulouse, elle avait ses habitudes, c’était beaucoup lui demander que de bouleverser sa vie, non ?

- Quand on aime quelqu’un, on peut accepter ça, non ? Ah, je vois bien que tu es comme elle ! Tant qu’on obéit bien sagement tout va bien. Quand on n’est plus d’accord il n’y a plus personne. L’amour, pour vous ça ne marche que par beau temps. Dans le bonheur on est d’accord sur tout, tout est à tout le monde mais dès la première embûche plus rien n’est à tout le monde, j’ai déjà vécu ça avec toi… Et puis tu parles de culture, tu la connais, la culture martiniquaise ? Tu connais Césaire ? Et Chamoiseau ? Tu connais Emma Monplaisir, Françoise Ega, Fabienne Kanor ? Ou Audrey Pulvar, oui celle-la tu dois la connaître, à cause de la télé ! Ce ne sont pas de bons écrivains ? Parce qu’ils ont la peau noire ? Tu crois qu’en Martinique il n’y a pas des intellectuelles, des chercheuses ? Parce qu’on n’en parle pas en France ?

Je tente de stopper l’avalanche avec des acquiescements marqués de la tête, mais Samia est lancée.

- Et Serge Bilé, tiens, lui aussi, un journaliste télé, tu as lu ?

Elle se lève pour fouiller dans son sac. Elle y trouve l’un des ouvrages de Serge Bilé, intellectuel martiniquais d’origine ivoirienne. Il se nomme  La légende du sexe surdimensionné des Noirs.

- Un thème intéressant, j’assure en gardant mon sérieux. Encore que je doute que ce soit seulement une légende. J’ai assez fréquenté la salle, autrefois, pour avoir constaté, à la douche, que ces messieurs sont généralement bien dotés par la nature. Beaucoup sont assez impressionnants, mais il n’y a pas de mal à cela, c’est plutôt un motif d’admiration, pour nous les Blancs, et un peu de jalousie je dois dire…

- Justement, c’est de là que vient la croyance. Entre la taille de ton sexe au repos et en érection, il y a une grosse différence. Tandis que chez les Noirs, il n’y en a pas beaucoup. Alors, finalement, ça revient un peu au même.

Elle n’a sans doute pas vu beaucoup de sexes africains en érection. Ne m’a-t-elle pas avoué que l’idée de faire l’amour avec un Noir ne lui disait rien ? Je lui ferai voir quelques films, cela l’instruira.

- Je veux bien te croire. Mais quand la taille du pénis d’un Noir est déjà au repos plus grande que la tienne en activité, tu as du mal à penser que le premier va rétrécir en bandant. Mais tout ça n’a pas d’importance ma chérie. Le principal, c’est que tu t’accommodes du mien.

Il faut savoir la prendre, et laisser passer l’orage. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Elle accepte mon baiser de réconciliation et se blottit contre moi. Immédiatement, je sens mon sexe durcir. Le téléphone sonne. C’est Françoise. Elle ne me laisse pas le temps de protester, et articule simplement : « Minable ! ». J’éteins le portable et me recouche en l’imaginant, cette persécutrice, méditant longuement son appel, seule, ulcérée, se sentant bafouée, et coupant aussitôt la communication avec une sensation de victoire. Allongé à côté de Samia, je la serre contre moi, mais la tendresse a remplacé l’excitation sexuelle. J’examine ce qu’elle m’a dit, de son échec avec cette Béatrix. Elle a voulu obtenir de cette spécialiste en histoire médiévale qu’elle quitte le Toulouse des Albigeois, de Raymond, la ville rose, aux pierres séculaires, pour aller enseigner dans un trou qui produit des Serge Bilé. La professeureu a naturellement rechigné. Samia s’est vengée en la trahissant avec n’importe qui, ce qui redouble l’insulte. Elle a été virée, bien sûr, et regrette cet amour perdu à tout jamais.

Elle me caresse. Sa main descend de ma poitrine à mon sexe.

Avec elle, ça passe ou ça casse.

Elle continue à me branler doucement, de sa main forte et brune. Quand j’ai atteint une dureté suffisante, elle vient sur moi et commence à s’activer. J’ai du mal à me concentrer sur les sensations, à la limite de la débandade. Dans un mouvement que je fais, une douleur irradie mon genou. Elle s’agite furieusement, mais je me sens devenir flaccide. Je l’attire, l’embrasse amoureusement, puis la repousse doucement.

- Excuse-moi, je ne suis pas très en forme.

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